Cette question peut ĂȘtre Ă©tendue Ă lâarchĂ©ologie en gĂ©nĂ©ral : pourquoi ne pas simplement « prendre » le mobilier, les objets prĂ©sents dans les gisements ? Depuis Neandertal, lâhomme a ramassĂ© des objets dans lâunique but dâen constituer des collections (coquillages, fossiles, âŠ) et ce jusquâil y a peu. Ce nâest que depuis quelques dĂ©cennies, avec lâapparition de lâarchĂ©ologie telle quâelle est pratiquĂ©e aujourdâhui, que le mobilier nâest plus que lâun des nombreux facteurs pris en compte lors de la fouille.
Lâobjet et son contexte
Le but de lâarchĂ©ologie est de comprendre la maniĂšre dont vivaient les hommes Ă partir des vestiges quâils nous ont laissĂ©s. Ainsi, il ne suffit plus seulement dâextraire un objet du sol pour le placer dans une vitrine mais bien de le situer le plus prĂ©cisĂ©ment possible dans le temps, de comprendre au mieux sa nature et ses fonctions, de dĂ©couvrir la maniĂšre dont il Ă©tait utilisĂ©, bref, dâen tirer un maximum dâinformations. Bien souvent, lâobjet hors de son contexte ne permet que peu dâinterprĂ©tations : que pourrait-on tirer dâun pic comme en livrent les miniĂšres nĂ©olithique de Spiennes, sâil Ă©tait dĂ©couvert, seul, en surface ? Lâobjet est en silex et a Ă©tĂ© taillĂ© pour lui donner une forme particuliĂšre. Ses utilisations pourraient ĂȘtre diverses : outil agricole, arme ? De quelle Ă©poque date-t-il ? Etait-il utilisĂ© tel quel ou nâest-ce quâune Ă©bauche non terminĂ©e ? Bien quâun peu caricatural, ce scĂ©nario exprime les limites de lâobjet seul en comparaison de ce quâil peut nous apprendre lorsquâil est en place.
Les objets⊠et bien plus !

LâarchĂ©ologie ne sâintĂ©resse pas quâaux « objets » en tant que crĂ©ations humaines (artefacts). Tous les vestiges laissĂ©s par nos ancĂȘtres sont analysĂ©s. Les habitats, les dĂ©chets, les ateliers, les tombes et ossements humains, tous les tĂ©moins de la vie humaine sont pris en compte. Mais bien plus encore ! Depuis les annĂ©es â50, dâautres sciences dites « auxiliaires » se joignent Ă lâarchĂ©ologie pour pousser toujours plus loin notre comprĂ©hension du passĂ©. Lâanthracologie qui Ă©tudie les charbons de bois, la palĂ©oanthropologie qui Ă©tudie les os humains, lâarchĂ©ozoologie qui Ă©tudie les os des animaux Ă©levĂ©s, chassĂ©s ou simplement retrouvĂ©s Ă proximitĂ© des humains. Des Ă©lĂ©ments ayant indirectement Ă©tĂ© en relation avec la vie des hommes sont Ă©galement pris en compte : les pollens Ă©tudiĂ©s par la palynologie ou les mollusques Ă©tudiĂ©s par la malacologie nous aident Ă reconstituer lâenvironnement de nos ancĂȘtres ainsi que leurs relations Ă cet environnement. Pour permettre ces Ă©tudes poussĂ©es, les archĂ©ologues prennent des Ă©chantillons. Ceux-ci, prĂ©levĂ©s sur le chantier soit par lâarchĂ©ologue, soit par des spĂ©cialistes qui les analyseront ensuite en laboratoire.
Objet, me diras-tu ton Ăąge ?
Arracher un objet Ă son contexte archĂ©ologique, câest Ă©galement perdre sa place dans le temps. GrĂące aux objets qui se trouvent Ă proximitĂ©, soit dans une mĂȘme couche, soit dans une couche supĂ©rieure ou dans une couche infĂ©rieure, il est possible de reconstituer une chronologie des Ă©vĂ©nements. Cette chronologie est dite « relative » car sans datation « chiffrĂ©e ». Certains matĂ©riaux permettent une datation dite « absolue » (exprimĂ©e en annĂ©es). Les matĂ©riaux organiques peuvent ainsi fournir une date sur base de la quantitĂ© de carbone quâils contiennent (technique du carbone 14). Une autre technique appliquĂ©e au bois peut parfois permettre une datation trĂšs prĂ©cise grĂące Ă lâanalyse des cernes de croissance de lâarbre dont est issu le matĂ©riau (analyse dendrochronologique). Mais dans tous les autres cas, les objets demeurent muets. Sauf si des matiĂšres organiques comme des charbons de bois ou des os, qui eux sont datables, se trouvent dans une mĂȘme unitĂ© stratigraphique que ces objets. En effet, sâils se trouvent dans une mĂȘme unitĂ© stratigraphique, ces objets ont Ă©tĂ© enterrĂ©s en mĂȘme temps! Donc en datant les matiĂšres organiques associĂ©es Ă lâobjet, ce dernier peut ĂȘtre datĂ©.
« Créations immatérielles »
Un autre aspect important, particuliĂšrement lors de la fouille dâun puits comme Ă Spiennes, dâun trou de poteau ou dâune fosse est de repĂ©rer les structures immatĂ©rielles. Un puits creusĂ© dans la terre se diffĂ©rencie relativement peu du substrat qui lâentoure. Pourtant il peut fournir de nombreuses informations sur les activitĂ©s humaines⊠et apporter tout un lot de nouvelles interrogations. Comment Ă©tait-il creusĂ© ? Avec quels outils ? Combien de temps est-il restĂ© ouvert ? A-t-il eu plusieurs fonctions ? La fouille peut, bien sĂ»r, apporter une sĂ©rie de rĂ©ponses. En Ă©tudiant la succession et la composition des couches qui remplissent lâune de ces structures, ont peut reconstituer la façon dont elle a Ă©tĂ© comblĂ©e : par lâhomme, par les intempĂ©ries, par un Ă©boulement, ⊠ou souvent par une combinaison de plusieurs facteurs.

En bref
LâarchĂ©ologie se nourrit de tous les Ă©lĂ©ments qui ont, de prĂšs ou de loin, fait partie de la vie des hommes. Quâil sâagisse des objets quâils ont façonnĂ©s, des structures quâils ont creusĂ©es ou Ă©rigĂ©es, de lâenvironnement dans lequel ils ont vĂ©cu, la moindre parcelle dâinformation est recueillie pour en tirer un maximum dâenseignements. Une fois que les chercheurs ont recueilli un maximum dâinformations, rien nâempĂȘche enfin lâobjet de terminer sa vie dans une vitrine et dâinstruire ainsi le public. Et qui sait, si ces vitrines ne seront pas fouillĂ©es un jour par les archĂ©ologues du futur ?
Quentin Goffette